Note de l'éditeur : Venance Konan, journaliste et écrivain ivoirien. Cet article reflète le point de vue de l'auteur et pas nécessairement celui du CGTN.
« Quand la Chine s'éveillera… le monde tremblera », avait écrit le Français Alain Peyrefitte en 1973. Cela fait déjà quelques décennies que la Chine s'est éveillée et une partie du monde tremble effectivement, tandis que l'Afrique, elle, la regarde, toute étonnée. Étonnée de voir le parcours de cette Chine qui, il n'y a pas si longtemps, c'est-à-dire au moment de la fondation de la République populaire, se trouvait à peu près au même niveau économique qu'elle. Comment a-t-elle donc fait ? Quel est le secret des Chinois ? Et l'Afrique, ballottée entre diverses idéologies, incapable de s'en faire une propre à elle de s'interroger. Sans trouver de réponse. Peu après la fondation de la République populaire, alors que le monde était en pleine Guerre froide, lorsque le monde était partagé entre socialisme et capitalisme, certains pays africains s'étaient essayés au marxisme-léninisme et d’autres au maoïsme, une variante chinoise de la seconde idéologie. Cependant, la plupart de ces pays avaient fini par choisir le camp des Occidentaux. À la vérité, ces choix idéologiques n'ont pas vraiment réussi à l'Afrique, puisqu'elle est toujours à la traîne du reste du monde.
Aujourd'hui la Chine fascine le reste du monde entier. Parce qu'elle a fait un grand bond en avant sur le plan économique, à la suite des grandes réformes initiées par les successeurs de Mao Zedong, principalement Deng Xiaoping, au point de devenir la deuxième puissance du monde, mais tout en restant idéologiquement elle-même. Et le président Xi Jinping qui dirige actuellement la Chine continue résolument sur cette même voie qui pourrait faire de son pays la plus grande puissance économique du monde. L'Afrique, y compris celle qui avait choisi le camp occidental, lorgne vers elle et se demande comment elle pourrait l'imiter. Mais les « amis » occidentaux de l'Afrique ne cessent de la mettre en garde contre cette Chine qui les fait tant trembler : « attention, la Chine a réussi sur le plan économique mais c'est une dictature. » « On n'y respecte pas les droits de l'homme et surtout les minorités ethniques et religieuses en Chine. » « Les Chinois ne respectent pas les droits des animaux non plus, puisqu'ils mangent les chiens. » La Chine, une dictature vraiment ? Ce n'est pas le lieu ici de dire comment de nombreuses minorités sont traitées dans les pays qui se proclament démocratiques et respectueuses des droits de l'homme, mais essayons plutôt de voir un peu comment fonctionne cette « dictature chinoise. »
La Constitution de la République Populaire de Chine stipule que « la Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l'alliance des ouvriers et des paysans. » Le préambule de la Constitution précise le rôle dirigeant du Parti Communiste Chinois et affirme que le marxisme-léninisme est l'idéologie officielle de l'État. Quelle serait donc cette « dictature démocratique ? » Pourquoi le marxisme-léninisme a-t-il échoué partout, sauf en Chine ?
Remontons jusqu'à Lénine qui écrivait ceci dans ses « Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne » le 4 mars 1919 : « la croissance du mouvement révolutionnaire prolétarien dans tous les pays suscite les efforts convulsifs de la bourgeoisie et des agents qu'elle possède dans les organisations ouvrières pour découvrir les arguments philosophico-politiques capables de servir à la défense des exploiteurs. La condamnation de la dictature et la défense de la démocratie figurent au nombre de ces arguments. Le mensonge et l'hypocrisie d'un tel argument répété à satiété dans la presse capitaliste sont évidents pour ceux qui ne tentent pas de trahir les principes fondamentaux du socialisme. D'abord cet argument s'appuie sur les conceptions de « démocratie en général » et de « dictature en général », sans préciser la question de classe… Dans aucun pays capitaliste, il n'existe de démocratie en général : il n'y a que la démocratie bourgeoise. Il ne s'agit pas davantage de la dictature exercée par la classe opprimée, c'est-à-dire le prolétariat, sur les oppresseurs et les exploiteurs, sur la classe bourgeoise, dans le but de triompher de la résistance des exploiteurs luttant pour leur domination. L'histoire enseigne qu'aucune classe opprimée n'est jamais parvenue à la domination, et n'a pu y parvenir sans passer par une période de dictature pendant laquelle elle s'empare du pouvoir politique et abat par la force la résistance désespérée, exaspérée, qui ne s'arrête devant aucun crime, qu'ont toujours opposée les exploiteurs. »
Lorsque la République Populaire de Chine est proclamée le 1er octobre 1949, Mao Zedong, son leader, opte pour le collectivisme communiste sous la direction du Parti Communiste Chinois en suivant le modèle soviétique. Après sa mort, Deng Xiaoping qui prend le pouvoir quelques années plus tard engage la Chine dans des réformes économiques à partir de 1978 en encourageant ses compatriotes à s'enrichir. En 1962, il avait déjà affirmé que « peu importe qu'un chat soit blanc ou noir, s'il attrape la souris, c'est un bon chat. » Le système des communes est progressivement démantelé et les paysans commencent à avoir plus de liberté pour gérer les terres qu'ils cultivent et vendre leurs produits sur les marchés, et dans le même temps l'économie chinoise s'ouvre vers l'extérieur. Les contacts commerciaux entre la Chine et l'Occident commencent à se développer. Deng Xiaoping indique clairement que la priorité du nouveau régime chinois est le développement économique et technologique. Selon plusieurs observateurs, c'est sous la houlette de Deng Xiaoping que la Chine a commencé une ère de développement économique telle qu'elle n'en avait jamais connue, et sa politique avait permis à des centaines de millions de Chinois de sortir de la pauvreté et placé la Chine sur les rails qui en font aujourd'hui la deuxième puissance économique du monde. Mais ses détracteurs lui reprocheront d'avoir abandonné l'orthodoxie communiste, et d'avoir permis, par sa politique, la création de profondes inégalités économiques et sociales qui perdurent jusqu'à ce jour. Mais il avait répondu par anticipation à ces critiques en déclarant au début des années 1980 que « lorsqu'on ouvre la fenêtre pour changer l'air, l'air frais pénètre, ainsi que les mouches. »
La Chine sous Deng Xiaoping n'a pas adopté le système démocratique à l'occidentale. Elle a au contraire, sur la base de sa propre expérience, et certainement en s'appuyant sur sa culture, tracé sa propre voie, et développé sa propre démocratie, sans se départir de l'idéologie marxiste. Ainsi, le 2 novembre 2019, le président Xi Jinping déclarait ceci dans le district de Changning à Shanghai : « nous suivons une voie de développement politique du socialisme à la chinoise, et la démocratie populaire est une sorte de démocratie de tout le processus, et toutes les décisions législatives majeures sont prises conformément aux procédures, après une consultation démocratique et par un processus décisionnel scientifique et démocratique. J'espère que vous continuerez à faire des efforts et à contribuer au développement d'une démocratie socialiste à la chinoise. » En quoi consiste donc cette démocratie socialiste à la chinoise ?
Pour le professeur et directeur de thèse Tang Yalin à l'école des relations internationales et des affaires publiques de l'université Fudan, elle repose sur quatre grands mécanismes que sont la démocratie réactive, la démocratie participative, la démocratie consultative et la démocratie supervisée. Essayons de comprendre ces quatre mécanismes.
La démocratie réactive : elle a comme base les besoins du peuple et dispose d'un mécanisme d'identification précise pour la « démocratie de tout le processus ». Partant du principe que l'intention originelle des êtres humains est de mener une vie bonne et heureuse, quel que soit l'endroit où ils vivent, ce qui est au cœur de la vie du peuple est « le plus grand droit de l'homme. » La démocratie et le bien-être du peuple étant naturellement liés, la démocratie fournit un cadre institutionnel pour le développement des moyens de subsistance des populations afin d'exprimer les divers besoins et de répartir équitablement les intérêts publics, tandis que les moyens de subsistance des populations jettent les bases d'une promotion durable de la démocratie. Les besoins des populations comprennent à la fois les moyens de subsistance et les besoins spirituels, de même que les sentiments culturels. Ainsi, peut-on lire dans le rapport du 19ème Congrès national du Parti Communiste Chinois ces lignes : « nous devons rechercher plus d'avantages pour les moyens de subsistance du peuple, résoudre les préoccupations concernant le bien-être du peuple et combler les lacunes dans le développement. De nombreux progrès devront être réalisés afin que les enfants grandissent sainement, que tout le monde ait droit à l'éducation, que tout travail soit rémunéré, que chacun soit couvert par l'assurance maladie et l'assurance vieillesse, que tout habitant dispose d'un logement décent et que les démunis puissent recevoir une aide. Nous mènerons des efforts approfondis pour la réduction de la pauvreté pour faire en sorte que tous les peuples bénéficient de beaucoup d'avantages dans la construction conjointe et le développement partagé, et continuerons de promouvoir le développement global de la population et la prospérité commune de tous. »
Le deuxième mécanisme est la démocratie participative. Le professeur Tang Yalin fait remarquer d'abord que dans les pays capitalistes occidentaux modernes, le droit à la démocratie participative s'exprime par la conception des institutions de deux manières principales : par le vote public lors d'élections et de référendum sur les principales lois nationales ; et deuxièmement, par la participation publique à la vie de la communauté sous différentes formes. La démocratie participative chinoise, elle, se manifeste à la fois au niveau national et au niveau social. Il ne repose pas sur des élections ouvertes avec une compétition multipartite, mais sur deux grandes formes institutionnelles que sont le système d'assemblée populaire et le système de coopération multipartite de consultation politique sous la direction du Parti Communiste Chinois. Dans le système occidental, la démocratie électorale montre essentiellement une combinaison d'intérêts du parti et du capital dans laquelle les politiciens manipulent l'opinion publique pour les intérêts spécifiques qui déviennent bien souvent de l'intérêt public. Dans le système chinois, le Parti Communiste Chinois n'a pas d'intérêt propre à lui mais a comme valeur suprême les intérêts du peuple chinois et de la nation chinoise. Ensuite, au lieu de rechercher la participation formelle à la vie de la communauté, la participation transparente est la force motrice du système chinois pour incarner les quatre grands droits des citoyens qui sont le droit à l'information, à la participation, à l'expression et au contrôle.
Le troisième mécanisme est la démocratie consultative. Citons le rapport du 19ème Congrès national du Parti Communiste Chinois qui s'est prononcé sur le sens à donner à la démocratie consultative : « la démocratie consultative est un moyen important de réaliser la direction du Parti Communiste Chinois, et constitue une forme et un avantage uniques de notre politique démocratique socialiste. Nous devons promouvoir le développement large, à plusieurs niveaux et institutionnalisé de la démocratie consultative et coordonner la consultation des partis politiques, de l'Assemblée populaire nationale, du gouvernement, de la Conférence consultative politique du peuple chinois, des groupes populaires, des organisations de base et des organisations sociales. Nous renforcerons le système de consultation et de démocratie, formerons un système complet de procédures et de pratiques de participation, et nous veillerons à ce que les gens aient le droit de participer largement et de manière continue et approfondie à leur vie quotidienne. »
Enfin, le quatrième mécanisme est la démocratie de supervision qui permet de corriger les erreurs. Ce mécanisme permet une supervision et un contrôle efficace de la puissance publique, et ainsi, sa corruption et les atteintes à la liberté individuelle peuvent être prévenues dans la plus large mesure possible. Contrairement au système occidental de correction et de redressement des erreurs et des fautes des pouvoirs publics qui n'est activé qu'après un cycle électoral de quatre ou cinq ans, pour le professeur Tang Yalin, le Parti Communiste Chinois n'a pas d'intérêt propre mais ne fait que porter son objectif à long terme d'œuvrer pour la libération ultime de l'humanité à travers tout le processus de réalisation pour la Chine de l'objectif de modernisation socialiste indépendante, forte et prospère.
Ainsi, en s'appuyant sur ces quatre mécanismes, la Chine a réussi à trouver sa propre voie, en combinant l'idéologie léniniste et le libéralisme économique. La réussite de la Chine sur les plans économique et technologique est éclatante et indiscutable. L'Afrique devrait-elle copier son modèle ? Certainement pas. Mais elle pourrait s'en inspirer pour trouver son propre modèle en s'appuyant sur sa culture et ses réalités.
Venance Konan, journaliste et écrivain ivoirien